La révolution du nouveau clavier

         On considère généralement le clavier de piano comme une forme achevée n’ayant plus besoin d’amélioration. Or depuis le XVIIe siècle déjà, divers inventeurs ont proposé une nouvelle morphologie du clavier qui simplifierait considérablement le travail des gammes. Cet article analyse les causes de leur échec et explique pourquoi ce projet est à nouveau à l’ordre du jour.

 1. Une nouvelle évolution du clavier est encore possible ou le grand retour du piano symétrique.

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi le piano était un instrument si difficile ? Parce qu’il faut déchiffrer en deux clés différentes tout en synchronisant la main droite et la main gauche ? Pas seulement. Pour chacun des modes (majeur, mineurs et tous les autres), il existe douze enchaînements de touches spécifiques, douze parcours de doigts propres à chaque tonalité. Et cela est vrai depuis l’invention du clavier actuel, c’est-à-dire depuis le milieu du XVe siècle environ. D’où le fameux travail des gammes, qui a occupé des générations de débutants pendant des heures. Dieu nous a déjà donné Jean-Sébastien Bach, nous n’attendions plus que le piano sans douleur. Dans son Histoire du piano, le musicologue belge Ernest Closson a noté : « L’inconvénient majeur, fondamental, du clavier consiste toujours dans sa disposition irrégulière, illogique, résultant des conditions mêmes de son développement, lent et tâtonnant. Si le système des douze demi-tons avait été institué d'un coup, on n’eût pas manqué d'y adapter l'ensemble du clavier, en donnant à chaque touche une importance équivalente.»
            Or, oui, il existe un moyen simple et pratique de réduire ces douze doigtés à deux seulement : c’est tout simplement de rendre le clavier symétrique en le transformant en une alternance régulière de touches blanches et noires, comme suit :

La première rangée donne la gamme par tons qui commence avec do ; la seconde la gamme par ton qui commence avec do dièse. C’est donc une disposition des touches qui supprime l’asymétrie constitutive du clavier habituel, et qui pour cette raison simplifie drastiquement l’apprentissage des gammes et des accords, ramené pour chaque tonalité et chaque mode à deux schèmes symétriques l’un de l’autre ; ainsi, la structure harmonique des accords et des gammes apparait très lisiblement sous l’une ou l’autre forme en miroir. Par exemple, tous les accords de septième majeure n’auront que deux formes possibles :

         Bien sûr, il reste nécessaire d’identifier chaque accord et chaque gamme dans chaque mode. Mais la géographie qui vient sous les doigts est si semblable que le travail d’apprentissage en est considérablement allégé. Pour chaque mode considéré, il ne reste plus dès lors que deux parcours de doigts à apprendre : celui qui commence par une touche blanche et celui qui commence par une touche noire. Ces deux parcours sont impossibles à confondre, puisque symétriquement opposés dans leur configuration. Chaque rangée produit une gamme par tons, et chaque octave redémarre sur la même couleur de touche.

         Figure 1. Joseph Haydn jouait-il sur un clavier symétrique ? Non, la disposition des touches n’est ici qu’une simple erreur du peintre Johann Zitterer. Pourtant, à la date de ce portrait, en 1795, le principe en avait été trouvé depuis longtemps.1

         Il y a juste un inconvénient : la monotonie de cette disposition. Comment se retrouver sur un clavier pareil ? Encore récemment, le musicologue Laurent Fichet remarquait : « Ce système serait sans doute beaucoup plus rationnel que le clavier actuel, mais on peut se demander comment les instrumentistes pourraient repérer l’emplacement des diverses notes avec une disposition aussi systématique et uniforme. »2 Or, la solution à cette question, comme on va le voir, a été trouvée depuis longtemps.
         Avec le temps, en effet, une solution s’imposa qui consistait simplement à conserver les couleurs anciennes sur la structure nouvelle, ce qui donnait le schéma suivant :

         Cette distribution des couleurs avait aussi l’avantage de maintenir visible l’échelle diatonique dans la série chromatique, au lieu de l’y dissoudre. Astucieux n’est-ce pas ?
         Et tous ces doigtés que j’ai travaillés pendant des heures, que deviennent-ils, me direz-vous ? Et toutes ces habitudes durement acquises ? Oh, rien n’est perdu, aucun n’aura été vraiment inutile, vous les recyclerez rapidement sur le nouveau clavier. Ou alors gardez-les, si vous voulez et gardez votre vieux piano, mais permettez aux nouvelles générations de s’emparer de cette découverte. Il est temps. Ce clavier, on l’a longtemps appelé « clavier chromatique », mais comme le clavier actuel, de facto, est déjà chromatique, il est préférable de l’appeler clavier symétrique.3 Son principe est tellement logique, nécessaire et évident qu’il a été imaginé depuis bien longtemps déjà et qu’il n’a jamais cessé d’être réinventé depuis.

2. Une histoire tombée dans l’oubli

         La première fois que cette nouvelle disposition du clavier fut théorisée, c’était à Prague, en 1654, par le prélat espagnol Juan Caramuel y Lobkowitz, conseiller auprès du roi Ferdinand III de Habsbourg. Le père Caramuel, correspondant de Descartes et de Kircher, était un ecclésiastique d’une grande érudition, un esprit encyclopédique se livrant à toutes sortes de recherches dans le domaine des sciences et des arts. Ce n’est qu’assez récemment qu’on a remis la main sur le manuscrit de sa période praguoise où il décrit plusieurs inventions ingénieuses, dont celle d’un clavier qui, à la disposition habituelle à 7 touches blanches et 5 noires, substitue une disposition continue à 6 touches blanches et 6 touches noires sur trois rangées.

         Figure 2. Plan du clavier à trois rangées du père Caramuel, reconstitué d’après les indications du manuscrit de 1654, par le chercheur et musicologue Patrizio Barbieri.4 Dans ce projet, la troisième rangée de touches reproduit la première, et elle en est physiquement solidaire.

         En 1728, le musicographe et théoricien Johann Mattheson, ami de Haendel, maître de chapelle et organiste à l’opéra de Hambourg, livrait ses réflexions sur le nouveau clavier dans Der musikalischer Patriot, la revue musicale qu’il venait de fonder : « Je me rappelle l’ouvrage que le célèbre John Locke écrivit à propos de l’éducation des enfants : on y lit à regret, au chapitre de la musique, qu’il en déconseille l’étude à un honnête homme pour la seule raison qu’il faut y consacrer trop de temps avant d’en posséder une connaissance passable. La présente invention remédie en grande partie à cette doléance, qui n'est pas totalement infondée. »5

         Figure 3. Plan du clavier commenté en 1728 par Johann Mattheson dans sa revue musicale. L’inventeur anglais, un certain F.A. de Richmond, fait partir la gamme des trois touches blanches intercalaires c=do, d=ré, e=mi (au centre) pour avoir plus de touches en commun avec le clavier habituel. C’est une stratégie qu’on retrouvera chez plusieurs autres auteurs mais qui a l’inconvénient de contredire la convention la plus élémentaire du piano.

         L’idée du nouveau clavier réapparaît en 1768 dans le Dictionnaire de musique de Rousseau, en illustration d’un système de notation musicale conçu par son ami le magistrat Roualle de Boisgelou.6 Et le schéma du clavier figure en bonne place dans les planches de la fameuse Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, à laquelle Rousseau contribua régulièrement.

         Figure 4. Schéma du « clavier chromatique » de François-Paul Roualle de Boisgelou, avec les nouvelles syllabes solfégiques inventées par l’auteur. Planche XII du septième volume de planches de l’Encyclopédie, Paris, 1769.

2.1 Le XIXe siècle

         En 1812, le mathématicien allemand Werneburg publie à Weimar une Méthode nouvelle et grandement simplifiée d’apprentissage de la musique à l’usage des amateurs et des musiciens,7 offrant en appendice la description d’un nouveau clavier, cette fois-ci à quatre rangées, les deux dernières reproduisant les deux premières à l’identique. Werneburg raconte que Goethe, alors à Weimar, et lui-même pianiste et violoncelliste, s’enthousiasma pour cet instrument : « En octobre 1808, à l’instigation du conseiller von Goethe, j’eus le privilège de donner tous les jours à une jeune pianiste de douze ans,8 musicienne accomplie, une leçon sur ce nouveau clavier. Au bout de deux semaines, elle était en mesure d’interpréter devant la duchesse et la princesse, ainsi que d’autres dames réunies dans la maison du conseiller Goethe, cinq petits morceaux écrits dans les douze tons fondamentaux, avec autant de facilité que d’exactitude, suivis de l’ouverture de L’enlèvement au sérail. Elle continua à s’exercer sur ce clavier et, le 14 février 1809, donna un grand concert dans la grande salle de l’Hôtel de Ville. Elle se fit entendre tour à tour sur un piano traditionnel et sur le clavier de Werneburg, sur lequel elle interpréta avec beaucoup d’expression et de sentiment des sonates de Beethoven.»9       

         Figure 5. Plan du clavier à quatre rangées de Werneburg, avec au-dessus une vue en coupe. Les rangées I et III donnent la première gamme par tons, les rangées II et IV la seconde. D’après une planche d’Otto Quantz.

         Tout au long du XIXe siècle, diverses variations du clavier symétrique furent inventées et certains modèles furent même présentés aux grandes expositions, comme celle de Paris en 1844. Liszt lui-même s’intéressa de près à la nouvelle invention, comme le rapporte le cardinal romain Grassi-Landi dans son opuscule. « L’un de mes amis, un jeune pianiste renommé, parvint, après seulement vingt jours, à exécuter avec le nouveau clavier chromatique des morceaux de musique extrêmement complexes, parmi lesquels la sonate de Beethoven en do dièse mineur proposée par Liszt qui, ayant observé les premières expérimentations, souhaitait savoir si l’on pouvait passer de la théorie à la pratique. »10

         Figure 6. Plan du piano symétrique à sept octaves de Mgr Bartolomeo Grassi-Landi, en 1880. On voit que le cardinal a prévu des touches assez larges pour glisser facilement les doigts entre les touches intercalaires. Pour le repérage visuel du pianiste, une latte de bois marquée ba indique le do, et les deux autres indiquent fa et sol.

         Quelque temps après, Liszt se serait intéressé, dit-on, à une autre invention du même type, celle de l’ingénieur hongrois Paul von Janko : un clavier symétrique à six rangées de touches ! Ce clavier fit sensation en Europe quelques temps, au point de donner lieu à une classe spéciale au Conservatoire Scharwenka à Berlin. « Les écarts de douzièmes devenaient un jeu d’enfant ; les énormes accords bourrés de notes et les monstrueux sauts lisztiens étaient mis à la portée des simples mortels. » C’est ainsi que Le grand livre du piano résume les avantages de ce clavier étonnant.11

  

         Figure 7. Au centre, le plan détaillé du clavier Janko : c’est un clavier triple dont les touches, répétées à l’identique, sont solidaires. Les touches blanches sont les notes naturelles et les touches rayées de noir, les altérations. Ce modèle (à gauche) exposé au Technisches Museum de Vienne est l’adaptation du clavier sur un harmonium. Au siècle dernier, on trouvait encore des concertistes capables de faire des démonstrations publiques, comme ici Garland McNutt (à droite) en Floride, en 1960.

         Une caractéristique du clavier Janko était que les quatre rangées supérieures reprenaient exactement les mêmes notes que les deux premières. Appuyer sur une touche quelque part, c’était activer deux autres touches dans les rangées voisines, grâce à un levier à trois contacts. Cette disposition permettait une grande virtuosité, car le pianiste pouvait se mouvoir librement d’une rangée à l’autre, suivant les doigtés qui lui paraissaient les plus confortables. Cependant, « l’obstacle technique était la dureté du toucher. En baissant une touche, on en baissait trois en même temps et plus on remontait vers le haut du clavier, moins on bénéficiait de l’effet levier, parce qu’on se rapprochait du point d’appui du levier. Les touches étaient donc si dures qu’elles étaient difficiles à contrôler dans les passages doux.»12 (Edwin Good)

         Figure 8. Exemple rare d’un accordéon muni, pour la main droite, d’un clavier symétrique à trois rangées. C’est un juste retour des choses puisque la disposition du clavier symétrique, comme l’a démontré Pierre Monichon, a originellement inspiré la création de l’accordéon chromatique. La touche du do se trouve dans la rangée du milieu.13

         Il y a quelques temps, le musicologue Pierre Monichon, spécialiste de l’accordéon, et lui-même inventeur, a pu établir que l’accordéon chromatique était directement inspiré du clavier symétrique et de ses avatars à trois, quatre ou six rangées de touches. En effet, le XIXsiècle avait vu se développer un courant d’innovation (en Allemagne en particulier) qui voulait réformer la notation musicale et repenser la structure du clavier de piano, dans le but de simplifier et populariser l’apprentissage de la musique. En étudiant les inventions de Valentino Arno (1860), de Joseph Heinrich Vincent (1862), de L. Ivon (1877), et de Janko (1882), on s’aperçoit qu’elles ont plusieurs caractéristiques communes avec ce que va devenir l’accordéon chromatique, dont le brevet sera déposé en 1897 :
         a) leur aire géographique d’expérimentation : l’Autriche-Hongrie (Vienne en particulier), l’Allemagne, l’Italie et la France.
         b) la parfaite régularité des touches, réparties par demi-tons en hauteur et par tons en largeur sur le clavier symétrique, par demi-tons en hauteur et par tierces mineures en largeur sur le clavier d’accordéon pour la main droite (clavier mélodique). Le clavier d’accords de l’accordéon pour la main gauche est lui structuré par quintes régulières, ce qui permet, là aussi, une transposition facile. Car le premier souci des concepteurs est la transposition : comment changer de tonalité sans changer de doigtés ? Ces claviers innovants répondent concrètement à cette question par la structuration régulière des notes et des intervalles.
         c) leurs noms même, puisqu’en cette fin de siècle on parle depuis un moment du clavier « chromatique » comme on parlera ensuite de l’accordéon « chromatique » (par opposition à l’accordéon « diatonique »).
         d) la répétition de plusieurs rangées redondantes, à l’identique, permettant de jouer la même note à plusieurs endroits différents. Il en résulte une nouvelle variété de doigtés.
         e) et enfin la distribution des couleurs. Aujourd’hui, sur de nombreux accordéons chromatiques, on peut voir une alternance de touches noires et blanches sur le clavier main droite qui reproduit simplement les couleurs du piano, et qui correspond au même principe que le clavier symétrique.

         Figure 9 Sur ce Fisart, comme sur la moitié des accordéons actuels, on remarque que les touches dévolues à la main droite présentent une alternance de noir et de blanc correspondant simplement aux couleurs des mêmes notes au piano.

         Ainsi donc, l’accordéon chromatique triompha là où le clavier symétrique échoua. Il faut dire aussi que l’accordéon partait de rien ou presque, alors que le clavier symétrique a depuis toujours un concurrent de taille : Sa Majesté le piano, roi des instruments.

2.2 Le XXe siècle

         Le suisse Edgar Willems fut un pédagogue réputé qui a laissé des traces importantes dans le monde de l’enseignement musical pour enfants. Dans un de ses livres, on trouve la mention d’une expérience didactique dans laquelle il se servit d’un clavier symétrique et d’une notation simplifiée pour faire voir, entendre et sentir à ses élèves les écarts sonores entre les notes. « Un intervalle, par exemple une tierce mineure, avait toujours pour les yeux une même grandeur sur le papier, distincte de la tierce majeure, et il correspondait à un même écart digital sur le clavier. C’était merveilleux et cela réalisait, nous semblait-il, le rêve de bien des chercheurs. » 14

         Figure 10. Schéma du clavier « atonal » d’Edgar Willems.15 Ce clavier fut monté à des fins pédagogiques sur deux harmoniums, dont l’un se trouve à l’école Ryméa de Lyon.

         Mais l’expérience s’arrêta là et Willems jeta le bébé du clavier « atonal » avec l’eau du bain des notations expérimentales dans lesquelles il ne voyait de toute façon qu’une sorte d’artifice pédagogique, juste capable de servir d’initiation.
            Plus près de nous, un pianiste français, Henri Carcelle, réinventa le nouveau clavier sous le nom de clavier « chromatique proportionnel. » Carcelle raconte qu’il fut reçu par Georges Cziffra et qu’après cinq minutes d’explications, celui-ci faisait les cent pas dans son salon en s’écriant : « Incroyable ! Sensationnel ! Fantastique ! »16 Et dans une lettre daté du 31 octobre 1983 à lui adressée, Cziffra renouvela son soutien au projet de construction « du clavier tout à fait révolutionnaire. »17

3. Les raisons probables d’un échec

         Plus de 300 ans qu’il existe et il ne s’est toujours pas imposé ? Vous allez me dire qu’il doit avoir un vice quelque part. Détrompez-vous, c’est juste que la transition de l’ancien au nouveau remet trop d’habitudes en question. Il reste donc à penser la transition. Et il nous faut aussi analyser tout ce qui, dans le passé, a pu contribuer à l’échec commercial du nouveau clavier.

         La première raison, et la plus fondamentale probablement, est que les professeurs de piano ont pu se sentir menacés dans leur savoir-faire. Nous verrons que leurs craintes sont largement infondées. Voyant cela, les fabricants n’ont pas été enclins à prendre de risque, car ils avaient besoin de la recommandation des professeurs pour pouvoir vendre le nouvel instrument au public. Ainsi s’est établit un cercle vicieux dont nous ne sommes pas encore sortis. Pourtant d’autres raisons se sont greffées sur celles-là et dont il est maintenant facile de s’affranchir. Voyons cela en détail.

3.1 La bataille déjà livrée du tempérament égal

         Le tempérament égal est un système d’accordage du piano qui consiste à rogner très légèrement les quintes pour obtenir l’égalité parfaite des demi-tons et ainsi permettre de moduler librement dans toutes les tonalités. Ce mode d’accordage, universellement admis aujourd’hui, suscitait de vives controverses autrefois. « Des musiciens, des hommes de l’art, des ecclésiastiques, des chefs d’état et des philosophes s’opposèrent avec fougue à l’introduction du tempérament égal comme à quelque chose de laid et de contre-nature », raconte le musicologue Stuart Isacoff.18 Et parmi eux, il faut citer Newton, Descartes et Rousseau, excusez du peu ; on serait effrayé à moins !
         Or, parmi les promoteurs du nouveau clavier (Caramuel, Hänfling, Mattheson) se trouvaient des partisans du tempérament égal, et la réputation du nouveau clavier, qui semblait incarner cette égalité des demi-tons, ne pouvait qu’en souffrir. « À l'heure où les défenseurs du tempérament égal devaient argumenter et convaincre, écrit le blogueur Alexandre Oberlin, imposer un nouveau clavier aurait rendu leur tâche encore plus ardue. »19 Pourtant le nouveau clavier, comme l’ancien, peut supporter tous les tempéraments musicaux, car il n’est naturellement lié à aucun.

3.2 Deux révolutions en une

         Les promoteurs du nouveau clavier étaient souvent et en même temps les inventeurs d’une nouvelle notation musicale. Or, ils divergeaient assez fortement entre eux quant à savoir de quelle écriture accompagner leur innovation. Pour compliquer les choses, ils établirent souvent une correspondance visuelle entre les touches du nouveau clavier et le graphisme de leur notation, faisant de celle-ci une sorte de tablature du nouveau clavier… Or, dans leur enthousiasme et leur précipitation, les inventeurs ne réalisèrent pas qu’ils essayaient de vendre deux révolutions en une, et ainsi, ils échouèrent à en vendre aucune.
         En France, l’invention d’Henri Carcelle, pourtant dûment récompensée (Rolex Awards for Entreprise 1990, Grand Concours GAN de la meilleure innovation scientifique et technique, Grand Prix du Président de la République au Concours Lépine 1992…) n’a jamais décollé, peut-être et entre autres pour cette raison précise : le clavier était physiquement marqué des repères de la nouvelle notation – d’ailleurs verticale ! – inventée par l’auteur, ce qui pouvait laisser croire que la nouvelle notation était nécessaire pour jouer sur le nouveau clavier et inversement, ce qui bien sûr était faux. Et tout cela ne pouvait qu’aggraver la crainte du public de s’éloigner dangereusement du monde musical ordinaire.
Au Japon, le Chromatone, une réplique moderne du clavier Janko à six rangées, reste un échec commercial, malgré les prouesses de quelques jeunes surdoués visibles sur YouTube. Or, les japonais ont conjugué l’instrument à une nouvelle notation, ce qui n’arrange pas les choses, et les notes jouées s’affichent sur l’écran de contrôle du clavier ! La notation, comparable à celle que Schoenberg lui-même avait inventée,20 visualise régulièrement les douze demi-tons dans la portée.

         Figure 11. Cette notation musicale spécifique est visible sur l’écran de bord du Chromatone CT-312, un clavier symétrique japonais à six rangées en vente depuis 2004.

         Pourtant le nouveau clavier, pas plus que l’ancien, n’est lié à aucune notation spécifique, et peut parfaitement se jouer avec la notation actuelle.

3.3 Différentes alternances de noir et de blanc

         Depuis le début, il règne une certaine confusion quant à la coloration des touches. Encore récemment, les concepteurs du clavier symétrique ont proposé des répartitions de notes et de couleurs divergentes, de même que des rangées supplémentaires (de trois à six), ce qui a pu créer la confusion. De nos jours, avec ses 71 touches blanches, le Chromatone japonais (fig. 12) ressemble plus à un clavier d’ordinateur (ou un accordéon géant) qu’à un piano. Seuls des points en bordure du clavier marquent les octaves. La première impression est celle, dérangeante, d’une dissolution du système musical dans un continuum immaculé de touches indifférenciées.

         Figure 12. Avec son océan de touches blanches sur six rangées, le Chromatone japonais ne fait vraiment rien pour ressembler à un piano. Et les ventes stagnent.

         Certains inventeurs ont choisi de faire commencer la gamme sur une touche intercalaire, en contradiction avec l’attente la plus élémentaire du public.21 Or Carcelle l’a bien relevé : « Lorsqu’ils voient le nouveau clavier pour la première fois, ils posent presque tous les mêmes questions : Mais où est le do sur ce piano ? Pouvez-vous me montrer la gamme de do majeur ? »22 Même si cette stratégie a pu trouver une justification auprès de ceux qui savaient déjà le piano (puisqu’elle replace deux touches de plus aux mêmes endroits), son avantage est faible par rapport à celui, plus important, de la ressemblance du nouveau clavier avec l’ancien.

         Figure 13. Certains particuliers ont fait modifier leur piano à leurs frais, avec différentes alternances de noir et blanc sur les touches : c’est le cas, à gauche, de l’allemand Johannes Beyreuther, à droite, du russe Nicolai Dolmatov, avec ici son fils Boris au piano.23

         Sur le nouveau clavier, il est indispensable que la gamme majeure de do commence par une touche blanche dans la rangée basse, en accord avec la tradition la plus fondamentale et la plus ancienne et en conformité avec l’attente du public. Et le public préfèrera toujours la ligne sobre et contrastée des traditionnelles touches noires et blanches, look fétiche, symbole même de l’instrument, à un clavier bariolé de lettres, chiffres ou couleurs (qu’on destinerait plutôt aux enfants). Pas question donc de modifier cet admirable jeu de damier. Alors ?

         Figure 14. Pierre Therrien a modifié ce Kurzweil à sept octaves pour en faire un clavier symétrique. L’astuce consiste à se procurer des touches de auprès du fabriquant, celles-ci étant les seules touches blanches véritablement symétriques. Le choix des couleurs est ici visiblement contraint par les touches d’origine, et à peine corrigé par les bandes de couleur. Sur YouTube, on peut voir Therrien interpréter « Ruby, my dear » de Thelonious Monk.24

         Nous avons déjà vu que la solution la plus rationnelle consiste à reporter les couleurs initiales des notes sur leur nouvel emplacement. En conservant la répartition habituelle, sept notes blanches (les notes de la gamme) et cinq notes noires (les altérations), nous obtenons ce que nous cherchions, un dessin, un motif irrégulier qui revient d’octave en octave et qui fournit les repères visuels permettant de distinguer immédiatement les altérations des notes fondamentales : do ré mi fa sol la si do… C’est donc simple, il suffisait d’y penser. Bernard Schumann fut un des premiers, en 1859, à proposer un clavier symétrique avec une alternance rationnelle de noir et de blanc fidèle à la distribution des couleurs du clavier de piano.

         Figure 15. L’allemand Karl Bernard Schumann fut un des premiers, en 1859, à fixer les couleurs du nouveau clavier de manière logique et rationnelle, avec do (c) en touche basse au départ de la gamme c d e f g a h. De nombreuses distributions du noir et du blanc ont été proposées mais, avec le recul, aucune ne semble aussi convaincante que celle-ci car elle répond à deux questions à la fois 1) comment s’orienter 2) comment conserver la visibilité du diatonique dans le chromatique.

         Certains auteurs (Borman, Théron) proposent aujourd’hui trois couleurs. Cette option peut se défendre à condition de rester strictement dans le cadre que nous venons de définir. Cette troisième couleur n’affecterait pas les touches blanches mais servirait simplement à différencier les altérations en position haute des altérations en position basse. Concrètement, cette solution consiste à affecter aux touches noires de la rangée basse une autre couleur.

         Ainsi, on distingue immédiatement les deux groupes d’altérations et du coup, on visualise beaucoup mieux où se trouvent le début et la fin de l’octave. Cette solution offre donc l’avantage d’un meilleur repérage visuel, en particulier pour les débutants âgés, sans rien changer au principe même du report des couleurs. Mais cette troisième couleur devra rester en adéquation avec l’esthétique de la facture et de la lutherie traditionnelle : il s’agira alors d’un bois verni, couleur miel, ambre ou acajou.

3.4 Le diatonique visible dans le chromatique

         Le piano symétrique, avec quatre notes fondamentales en position intercalaire (fa sol la si) semble bouleverser l’ordre diatonique, fondement de la musique tonale, et favoriser la gamme par tons. Il y a là un obstacle psychologique, pour ne pas dire philosophique : la disposition même des touches a l’air de menacer les fondements du système musical. Edgar Willems lui-même l’avait qualifié de clavier « atonal ». Comme je décrivais un jour ce clavier à un jeune vendeur, sa réaction spontanée fut : « Mais avec ça, vous détruisez les bases du système ! »
            Il est très important que le clavier symétrique continue à figurer l’échelle diatonique. Cette matérialisation en noir et blanc maintient le lien avec la gamme, le piano et la notation classique. Mais surtout, et plus concrètement, elle crée le dessin dont nous avons tant besoin pour rendre le clavier lisible. Il y a donc deux problèmes différents :
         a) Un problème pratique qui est celui de se repérer parmi des touches si semblables qu’elles semblent priver le pianiste de tout repère.
         b) Un problème philosophique qui est que l’allure neutre et indifférenciée du clavier a l’air de dissoudre les fondements même du système musical, tant le piano, instrument de référence, a pris depuis longtemps cette signification de matérialisation concrète et visible de la musique.
         Pourtant le nouveau clavier, comme l’ancien, permet de jouer tous les genres de musique, qu’il s’agisse de musique modale, tonale, moderne ou contemporaine. Et grâce à la stratégie des couleurs, la gamme diatonique au fondement de notre bon vieux système tonal reste visuellement incarnée. Par cette simple astuce, l’ancien reste visible au sein du nouveau, le diatonique au sein du chromatique. C’est un point essentiel pour la réception du nouveau clavier auprès des parents d’élèves et du grand public en général.

3.5 Le faux problème des doigtés

         Enfin, les auteurs des siècles passés s’interrogeaient beaucoup sur les nouveaux doigtés qu’impliquerait la nouvelle disposition des touches. Or, l’approche du clavier a considérablement évolué depuis ses débuts et différentes techniques de passage du pouce, impensables en d’autres temps et qui nous paraissent aujourd’hui élémentaires, ont rendu ces débats largement caducs. La réponse a été trouvée depuis longtemps et elle est simple : tous les doigtés sont utiles. Liszt, paraît-il, défilait toutes ses gammes sur le doigté de do majeur, à titre d’exercice. De son côté, Chopin s’intéressait aux doigtés riches en touches noires comme ceux de si majeur ou de mi majeur…
         Les passages de pouce les plus utiles sur le nouveau clavier sont ceux de certaines tonalités qu’apprend déjà tout pianiste en herbe. Par exemple, à la main droite, le doigté 234, 1231(2) classiquement recommandé pour monter la gamme majeure de fa # convient très bien pour les gammes majeures commençant sur une touche intercalaire ; à la main gauche, c’est le doigté 4321, 321, qui est recommandé. Pour les gammes à départ en touche basse, c’est le doigté de fa bécarre 1234,123 qui convient à la main droite. Et pour la main gauche, le très classique 54321, 321
         Et c’est pareil pour les arpèges. Par exemple à la main gauche, l’arpège 5321 recommandé pour plusieurs tonalités majeures, est généralisable à toutes les tonalités majeures sur le clavier symétrique ; et pareillement pour l’arpège 5421 et les tonalités mineures.
         Le nouveau clavier semble supposer une méthode spécifique. Or la bonne nouvelle, c’est que les doigtés des méthodes habituelles conviennent aussi pour le nouveau clavier, comme j’ai pu le vérifier moi-même avec la fameuse Méthode Rose. Les distances entre les touches étant très proches de celles d’un piano classique, il n’y pas de différence sensible pour les doigts, au contraire des claviers symétrique à quatre, cinq ou six rangées (Werneburg, Janko, Chromatone) qui eux réclament des doigtés et donc des méthodes spécifiques.

3.6 Et trois petites raisons de plus

         1) Par le passé, un pianiste qui aurait voulu promouvoir le nouveau clavier aurait été contraint de le véhiculer par monts et par vaux, au risque de le désaccorder. Aujourd’hui le problème est ridiculement simple : il lui suffirait de se déplacer avec un clavier numérique. Il en existe de très légers qu’on emporte avec soi comme un simple bagage.
         2) De nombreux inventeurs apposèrent un brevet sur leur invention, l’assujettissant ainsi à des droits d’auteur, ce qui a pu freiner sa commercialisation. Or, il s’agit d’une invention si ancienne dans son principe qu’elle est depuis longtemps tombé dans le domaine public. On peut donc breveter un détail du modèle ou une technologie particulière, mais pas l’idée elle-même.
         3) Le nouveau piano coûtait au moins aussi cher que l’ancien, et pour les éventuels amateurs, il y avait là de quoi hésiter, car ils n’avaient pas droit à l’erreur. Or aujourd’hui, un modèle numérique couterait aussi peu cher que les petits modèles électroniques bon marché.

4. De quelques vieux avantages du nouvel instrument

         a) A cause de la structure régulière du nouveau clavier, la distance d’une touche à l’autre sur l’axe horizontal y est toujours proportionnelle à la grandeur de l’intervalle musical qui les sépare, comme c’est pratiquement le cas sur une corde de guitare. Mais alors que les frettes de la guitare se resserrent progressivement le long du manche, les touches du clavier restent identiques d’octave en octave, offrant une proportionnalité musicale parfaite.

         b) Théoriquement, l’apprentissage sur ce clavier est six fois plus facile. Mais comme il existe un certain nombre d’invariants et de préalables techniques indépendants de la morphologie du clavier, il est plus raisonnable de dire que le travail est divisé par trois. C’était déjà, en 1877, l’opinion répandue. D’après une enquête d’Otto Quantz, « tous s’accordent à affirmer qu’on doit, sur cet instrument, économiser les deux tiers environ du temps d’apprentissage. »25
          Certains prétendent qu’on peut commencer le piano à tout âge. C’est vrai, mais avec l’âge la mémoire procédurale (celle des gestes) est moins sûre et a besoin de plus de répétitions pour se renforcer. Ceux qui ont toujours rêvé de jouer du piano et qui ont repoussé le moment de s’y mettre, par manque de temps ou de bases solfégiques, ou parce qu’ils attendaient que leurs enfants grandissent, seront donc contents d’apprendre que l’on peut diviser cet apprentissage par trois par une simple modification des touches.
         c) Le nouveau clavier présente encore un autre avantage : celui de raccourcir l’octave qui, passant de sept à six touches, devient plus facile à jouer. Et c’est vrai aussi des neuvièmes, des dixièmes et des onzièmes. Et notez bien que ce raccourcissement, parce qu’il résulte directement de la structure nouvelle, se fait sans raccourcir les touches elles-mêmes. Conséquence directe de cette conséquence : les partitions de Bach et de Mozart, qui à l’époque étaient plus faciles à jouer qu’aujourd’hui parce que l’octave était plus courte, redeviennent aussi jouables qu’elles l’étaient de leur vivant ! En effet, c’est au XIXe siècle seulement que les touches du piano furent élargies, pour offrir plus d’espace aux doigts.

4.1 Voici pourquoi les temps sont mûrs

         Bien peu d’adolescents de nos jours veulent embrasser cette sorte de sacerdoce que constitue l’apprentissage d’un instrument aussi riche en ressources que le piano. Il y a tant de matières à apprendre et tant de distractions accessibles aujourd’hui, comme jamais dans l’histoire de l’humanité ! Et tant de styles à maîtriser. S’il veut être complet et polyvalent, l’adolescent (ou l’adolescente) d’aujourd’hui devra connaître la gamme de blues, les modes asymétriques du jazz, la gamme par tons, le mode Bartók, sans compter quelque mode indien, arabe ou tzigane. Le but n’est plus seulement de promener les quatre modes courants dans toutes les tonalités, mais de se mouvoir avec aisance dans toutes sortes de modes et de passer d’un mode à l’autre dans toutes les tonalités. Une simplification drastique du clavier serait donc plus que jamais la bienvenue.

4.2 Récapitulation

         Voilà donc ce que nous savons aujourd’hui avec certitude : le nouveau clavier supporte tous les tempéraments, le tempérament égal comme les tempéraments anciens ; on peut s’y repérer facilement, par le simple report des couleurs attribuées aux notes, et la gamme diatonique y reste pareillement visible ; il permet de jouer dans tous les styles, et il n’est pas spécifiquement destiné à la musique atonale ; il ne suppose pas de doigtés différents ni de notation particulière, il peut donc s’apprendre avec le solfège et les méthodes traditionnelles ; il est libre de tout brevet et il divise le travail d’apprentissage par trois - alors qu’est-ce qui coince encore ?

4.3 L’obstacle de la profession

         Il reste un obstacle qui a bien été identifié depuis les débuts, c’est celui de la profession. C’est là l’obstacle principal. Il faut dire que les enseignants ont de quoi s’inquiéter : le nouveau clavier ne vient-il pas ruiner une vie de travail et d’efforts ? J’ai une bonne nouvelle pour eux : plus une personne est compétente au piano, plus elle le sera sur le nouveau clavier. Si elle souhaite se recycler, elle possède une foule de qualités pour y arriver rapidement : la lecture et l’intelligence de la partition, la souplesse et l’agilité de la main, la connaissance des techniques et des doigtés.
Il ne s’agit pas de signer la mort du piano à l’ancienne, n’y d’envoyer les professeurs au chômage ; il s’agit seulement de créer un mouvement d’opinion en faveur du nouveau clavier et de susciter des vocations chez les jeunes amateurs et dans la frange la plus aventureuse de la profession. Il n’y a pas de tout-ou-rien radical, les deux systèmes peuvent cohabiter en parallèle le temps que les nouvelles générations s’y mettent progressivement.

4.4 Les pianistes confirmés sont les plus aptes

         Contrairement à ce qu’on pourrait légitiment supposer, ce sont les pianistes les plus avancés qui jouent le plus rapidement du nouveau clavier. Être exercé dans l’ancien, depuis l’enfance de préférence, loin d’être un handicap est au contraire un atout considérable pour passer au nouveau. J’ai moi-même archivé depuis le forum du MNP (Music Notation Project) les témoignages de plusieurs pianistes qui ont franchi le pas : leur reconversion ne leur a pris que quelques mois, voire quelques semaines seulement. Cette extraordinaire rapidité d’adaptation s’explique par le fait que ces pianistes ont déjà développé depuis longtemps toutes les habitudes qui vont leur permettre l’adoption du nouvel instrument. Henri Carcelle a évoqué cette question : « C’est comme si vous preniez des œuvres musicales que vous aviez déjà apprises et que vous les réappreniez dans de nouvelles tonalités. »
          Sur YouTube, on peut voir Stevie Wonder, au début de l’année 2012, essayer le harpejji, un instrument à cordes exactement structuré comme un clavier symétrique à rangées multiples. Sur une autre vidéo, on le voit à l’automne de la même année chanter en concert en s’accompagnant lui-même sur cet instrument, preuve qu’il lui aura fallu moins de six mois pour s’y adapter. Et en 1792 déjà, le pasteur Johann Rohleder s’écriait : « Comment expliquer que je sois en mesure de jouer aussi parfaitement sur mon clavier, que je ne possède que depuis Pâques 1790, tout ce que je joue sur le clavier ordinaire, que je pratique depuis plus de trente ans ?»26

5. Conclusion

         Que faudrait-il faire alors ? La réponse est simple. Que les constructeurs européens, s’ils veulent innover, proposent des pianos numériques équipés du nouveau clavier, mais à deux rangées de touches seulement et avec une alternance de couleurs respectant la gamme diatonique, comme sur un piano classique. Ce clavier ne porterait la marque d’aucune notation particulière et pourrait continuer à se jouer avec les partitions ordinaires. Avec cette conformation, on aurait un clavier ressemblant à un piano, et non pas à une improbable machine futuriste, ce qui essentiel.

         Ainsi seulement, inscrite dans la continuité historique, cette merveilleuse innovation pourrait-elle rencontrer un vaste public.

          En son temps, Johann Mattheson concluait son article en ces termes: « Je souhaite, pour terminer, que les raisons et les preuves apportées en faveur du nouveau clavier trouvent bon accueil auprès des facteurs d'orgues et d'instruments, et tout particulièrement auprès du public désireux d’apprendre, afin qu’il puisse à l’avenir mesurer ses talents à l’aune de cette invention. Ne faut-il pas penser aussi à la jeunesse débutante, afin de lui transmettre quelques moyens d’agrémenter ses soirées d’une manière plus plaisante, plus facile et plus belle qu’auparavant, afin que le temps jusque-là consacré à l’étude soit désormais employé à avancer dans la pratique de l’art ? » C’était en 1728, alors que Jean-Sébastien entamait à Leipzig le deuxième livre de son Clavier bien tempéré ! Réveillons-nous ! Que de temps perdu !

         A l’heure où le salut de l’Europe, dit-on, réside dans l’innovation, les ingénieurs et techniciens du clavier numérique peuvent prendre l’initiative : pas de problème de brevet, l’idée est tombée dans le domaine public depuis des siècles.

         Mesdames et Messieurs, facteurs et fabricants de piano et de claviers numériques ou concepteurs du département Recherche & Développement, s’il vous plaît, des millions de futurs utilisateurs vous attendent. La balle est dans votre camp !

                                                                       © Dominique Waller, d.waller@orange.fr

6. Bibliographie 

Bailhache, Patrice, Leibniz et la théorie de la musique, Paris, Klincksieck, 1992, p. 38 et 139.
Barbieri, Patrizio, Enharmonic instruments and music, 1470-1900, Latina (Italie), Il Levante Libreria, 2011, p. 290 à 292.
Carcelle, Henri, Le clavier de piano et la notation musicale chromatiques proportionnels, Editions chromatiques, 1987 (chez l’auteur, 1 rue de Bruxelles, 62520 Le Touquet).
Cizek, Bohuslav, Instruments de musique, encyclopédie illustrée, Paris, Gründ, 2003, p. 116.
Closson, Ernest, Histoire du piano, Bruxelles, Editions Universitaires, 1944, p. 58.
PDF disponible sur pianomajeur.net
D’Agvilo, Sydney, Manual de teoria intervalica, Intervalic Music Press, 2000, p. 80-87.
Monichon, Pierre, L’accordéon, P.U.F., 1971, coll. Que sais-je ?, n° 1432, p. 15 à 17.
Monichon, Pierre, L’accordéon, Van de Velde/Payot Lausanne, 1985, p. 99 et 102.
Quantz, Otto, Zur Geschichte der neuen chromatischen Klaviatur und Notenschrift, Berlin, Georg Stilke, 1877, p. 1 à 9. Réédition Nabu, 2010.
Willems, Edgar, Le rythme musical : rythme, rythmique, métrique, Paris, Presses universitaires de France, 1954, p. 209-210.

7. Notes et références

1 Bridgeman Art Library.
2 Fichet, Laurent, Les théories scientifiques de la musique, Paris, Vrin, 1996, p. 24.
3 On pourrait aussi l’appeler régulier, égal, continu, rationnel ou ergonomique. Mais le terme de symétrique convient particulièrement bien ici, puisque, les touches du clavier sont elles-mêmes parfaitement symétriques. Sur un clavier de piano aujourd’hui, parmi les touches blanches, seules les touches de sont symétriques.
4 Barbieri, Patrizio, « Juan Caramuel Lobkowitz (1606-1682) : über die musikalischen Logarithmen und das Problem der musikalischen Temperatur », 1987, http://www.patriziobarbieri.it/articlespdf.htm.
5 Mattheson, Johann, Der Musikalischer Patriot, Hamburg, 1728, p. 247-248. Réédition Zentralantiquariat der Deutschen Demokratischen Republik, Bärenreiter, Leipzig 1975.
6 Rousseau, Jean-Jacques, Dictionnaire de musique, Paris, Duchêne, 1768. Réédition Paris, Actes Sud, 2007, p. 473. Voir aussi fig. 2, p. 573.
7 Werneburg, Johann Friedrich Christian, Allgemeine Musik-Schule, Gotha, Carl Steudel, 1812.
8 Il s’agit de Franziska Ambrosius, fille d’un chambriste au service du duc de Weimar.
9 Werneburg, op. cit., p. 96
10 Grassi-Landi, Bartolemeo, Descrizione della nuova tasteria cromatica ed espozione del nuovo sistema di scritura musicale, Rome, Tipografia di Roma, 1880. p. 13-14.
11 Gill, Dominic, Le grand livre du piano, Van de Velde, 1981, p. 254.
12 Giraffes, black dragons and other pianos : a technological history from Cristofori to the modern concert grand / Edwin M. GOOD. - Stanford, California : Stanford University Press, 1982 & 2001, p. 261.
13 Photo Thomas Mayers & William Pavone, Tonawanda, NY. Cf.
http://www.well.com/~jax/rcfb/Hayden_on_Reuther.html
http://www.well.com/~jax/rcfb/button_accordion.html#Reuther_Uniform_Keyboard_System
14 WILLEMS, Edgar, Le rythme musical : rythme, rythmique, métrique, Presses universitaires de France, Paris, 1954, p. 209-210. Rééditions 1976 et 1984 chez Pro Musica, Fribourg (Suisse).
15 Willems, Edgar, L'oreille musicale, tome I, la préparation auditive de l'enfant, 4ème édition, 216 dessins de l'auteur, Fribourg (Suisse), Pro Musica, 1977, planche XVI en fin d’ouvrage.
16 Carcelle, Henri, op. cit., p. X.
17 Carcelle, Henri, op. cit., p. XVIII.
18 Isacoff, Stuart, Temperament : how music became a battleground for the great minds of Western civilization, Vintage Books, New York, 2003, p. 4.
19 http://migo.info/blog2/index.php?post/2012/06/08/Accordage-de-la-guitare-en-tierces-majeures
20 Schoenberg, Arnold, Le style et l’idée, Buchet-Chastel, p. 271.
21 Cf. plus haut le schéma de Mattheson.
22 Interview de Georges Bourdais dans L’invention, revue de l’Association des Inventeurs et Fabricants Français, sept.-oct. 1992, p. 8.
23 Photo du clavier de Beyreuther sur http://www.beyreuther-musikprinzip.de/. Photo de Boris Dolmatov jouant sur le piano de son père prise en juillet 1994, à Moscou. Music Notation News, vol. 5, n° 1, 1995.
24http://www.youtube.com/user/31416erre#p/a/u/0/dGUD58gp6Fk “symmetrical keyboard”.
25 Quantz, Otto, Zur Geschichte der neuen chromatischen Klaviatur und Notenschrift, Berlin, Georg Stilke, 1877, p. 7.
26 Otto Quantz, p. 4.